Seulement six jeunes médecins Bhoutanais prennent les tours de garde à l'urgence. Ils ont tous reçus leur formation de base en Inde ou au Sri Lanka mais sans avoir fait de résidence, cette période d'apprentissage clinique très importante. À leur retour, ils sont plaçés en région ou à l'urgence de l'hôpital de Thimphu. Ils espèrent un jour (certains attendent depuis plus de 6 ans) recevoir une bourse pour poursuivre une spécialité y compris en médecine d'urgence. Ils ont une énorme charge de travail surtout après 15 heures quand les cliniques externes ferment ( il n'y pas de clinique privée au pays).
Mes débuts
Je dois avouer que j'étais plutôt angoissée le premier jour de travail. Je ne connais pas la "compétence" de chacun (infirmières et médecins) par contre je sais que je peux leur transmettre des connaissances lors de l'évaluation des patients qui se présentent. Le premier se plaint d'essoufflement, fièvre et toux. Signes vitaux sont pris. OK c'est un bon départ . Sa saturation à l'air libre est de 90 % et l'infirmier ne lui donne pas d'oxygène. Oups ! Voyant mon air interrogateur l'infirmier me dit: nous sommes en haute altitude et la saturation est normale à 90-92 %. Pour m'en convaincre je prends la mienne : 91 % !
Alors ces deux premières semaines, je me suis mise sur le mode écoute et apprend ! Fièvre et douleur abdominale : penser à la typhoïde. Fièvre et maux de tête : typhus (ou malaria ou fièvre dengue s'ils ont voyagé ou reste dans le sud du pays) .
Autre réalité : quand vous avez un mal de gorge (surtout enfants et adolescents ) nous recherchons la présence de streptocoques du groupe B, de vilaines bactéries responsables, entre autres, de la fièvre rhumatismale qui abîme les valves cardiaques . Au Bhoutan, les soins de santé n'ont débuté qu'à la fin des années 1960 et la majorité des paysans étaient isolés dans leur campagne sans accès facile à une clinique voire même aux antibio. Plusieurs adultes sont donc aujourd'hui affligés de graves problèmes cardiaques.
La tuberculose
Il y a deux ans, j'ai eu la chance de prendre un cours en médecine tropicale à Vellore en Inde. J'ai appris que 40 % de la population ont été en contact avec le bacille responsable de la tuberculose et peuvent, dans leur vie, en souffrir les conséquences. Statistiques probablement semblables ici avec des présentations tristement variées: maladie de Pot alors que les microbes se sont développés dans une vertèbre, tuberculomes dans la cavité abdominale ou dans des ganglions et évidemment la forme pulmonaire .
De jeunes adultes se présentent régulièrement à l'urgence avec une histoire de plusieurs semaines de toux, de fièvre nocturne et d'essoufflement. Regardez bien la photo ci-bas. J'ai réussi à capter le médecin , qui se prépare à ponctionner le poumon de ce patient pour en retirer un liquide inflammatoire, et ce à travers la radiographie. On remarque que le poumon droit est complètement blanc, oblitéré par cette effusion pleurale.
On laisse partir le jeune, les résultats seront prêts demain. J'imagine facilement le nombre de personnes qu'il a pu contaminer. Mes collègues me confirment des souches multi-résistantes liées soit à une pauvre observance aux médicaments ou à contamination de souche provenant de l'Inde.
Les infirmières
Les infirmières sont très réceptives à l'enseignement. J'ai organisé des ateliers pratiques le lundi ce qui a permis d'établir une bonne relation de confiance. Elles ont, entre autres, la responsabilité de suturer les lacérations . Ici la médecin de garde est intervenue pour réparer une mauvaise plaie à la tête. Au Bhoutan, ce sont les Indiens et les Pakistanais qui travaillent sur les chantiers de construction dans de très pauvres conditions de travail et de sécurité et ce sont eux que l'on reçoit en grande majorité pour des blessures diverses.
Lors de mes différents voyages dans des pays en développement, j'ai souvent remarqué que la confiance est fragile envers la médecine "moderne". Une opération qui a mal tournée, des médicaments en rupture de stock, des effets secondaires inattendus, une mauvaise écoute sur l'interprétation de la maladie , une grande méfiance sur les interventions même pour une intraveineuse sont tous des éléments qui peuvent y contribuer.
La médecine traditionnelle, elle, vit depuis la nuit des temps sans interruption et reste l'approche la plus populaire. On consulte d'abord les praticiens à l'Hôpital de "Traditional Medecine" ou alors le lama. Avec ses bons et ses mauvais côtés selon le praticien qui peut tarder à référer des patients moribonds. Par exemple, une jeune patiente qui souffrait de pierres dans la vésicule biliaire arborait des cicatrices ligniformes dans le dos et sur la figure témoins d'une consultation auprès d'un soignant traditionnel. Elle conserve toujours ses pierres et les malaises qu'elles provoquent . Autre exemple, les enfants qui ont un retard de language doivent éviter les oeufs,le poulet, le boeuf, des sources de protéines qui seraient plutôt salutaires. J'aimerais bien comprendre l'origine de telles recommandations.
Néanmoins l'Hôpital de Thimphu est plein à craquer. Ils offrent le service de diverses spécialités et reste l'hôpital de référence pour les hôpitaux de régions. Les services de pédiatrie et de gyneco-obstétrique fonctionne rondement.
Des unités de santé primaire un peu partout dans le pays offrent les services d'un infirmier qui peut évaluer certaines conditions légères et référer au besoin à l'hôpital local.
Je dois néanmoins vous dire que j'étais totalement atterrée par le manque de médicaments essentiels à l'urgence et par le manque de tests de laboratoire de base à cause du manque d'agents réactifs. Non pas par pauvreté mais par ratés administratives. Les patients sont évidemment les premiers à en souffrir et les jeunes médecins ne peuvent contempler des diagnostics différentiels puisque les investigations et traitements ne sont pas disponibles ce qui limitent beaucoup l'apprentissage.
Terminons avec cette image prise lors d'une ballade en fin de journée dans les collines de Thimphu, j'y ajouterai mes prières, devinez ce qu'elles contiennent ...